Disparaître de soi , une tentation contemporaine

Publié le par Elisabeth

Disparaître de soi , une tentation contemporaine

C'est le deuxième essai du sociologue David Le Breton que je lis et je prends toujours autant de plaisir à découvrir ses ouvrages qui sont particulièrement bien écrits . Paru cette année aux éditions Métailié, il me semble donner un exact reflet de nos sociétés contemporaines en s'appuyant sur des exemples réels et littéraires. "Disparaître de soi" c'est selon lui accéder à une forme de" blancheur", se retirer de la vie sociale, professionnelle, familiale quand le poids "d'être soi" devient décidément trop lourd. Il en identifie différentes modalités selon les âges, les individus : il existe des disparitions plus au moins discrètes, sommeil, dépressions, anorexie, défonce, Alzheimer ...
David Le Breton puise souvent ses exemples archétypaux dans la société japonaise ; c'est le cas lorsqu'il décrit la pratique du pachinko :

Le Japon connaît une forme ludique et banale de dissipation de soi au fil de la vie quotidienne, un loisir commun : le pachinko, une pratique qui s'est développée au Japon après la reddition du pays . [...] Les salles sont nombreuse dans tout le pays. Le joueur achète à l'entrée une provisions de billes pour une somme modique et il s'assied sur un tabouret devant une machine. D'une main il tire la manette qui projette les billes sur un tableau vertical, et elles descendent selon un parcours chaotique déterminé par des chicanes, leur progression libère sous leur poids d'autres billes que le joueur récupère pour les remettre en jeu, à l'infini. [...] Le joueur est concentré sur la manette à laquelle il tente de donner l'impulsion juste. Les joueurs sont assis côte à côte, indifférents les uns aux autres , tous immergés dans la contemplation du mouvement des billes. [... ] Ce sont des lieux socialement légitimes de dissolution provisoire de l'identité, sans pour autant quitter le lien social.
[...] La salle est pour beaucoup un lieu de retraite en pleine ville, un refuge où se retirer de toute obligation sociale, dilué dans l'anonymat, tout entier absorbé par le mouvement mécanique du jeu. Pour ses adeptes, P. Pons évalue à une moyenne de deux heures par jour le temps consacré au jeu devant la machine.
[...] Au-delà du pachinko, qui est une sorte d'archétype social, nos sociétés sont friandes de ces jeux d'absence où les individus se perdent dans une activité hypnotique qui les passionne.

Cette disparition de soi reste discrète et légitime aux yeux de la société mais Le Breton recense aussi des formes plus dangereuses de "disparition de soi", en particulier chez les jeunes Occidentaux. Il reconnaît aussi l'existence de formes "positives" de disparition même si elles ne font pas l'objet de son essai . Il s'agit de tous ces lieux ou de tous ces moments où nous nous retirons du jeu chaotique de la vie, par exemple en marchant, lisant, écoutant de la musique ... Il s'agit alors de disparaître pour mieux renaître.

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