Les services compétents

L'écriture de Iégor Gran m'a beaucoup plu lorsque je l'ai découverte il y a quelques années en lisant l'un de ces précédents romans, La Revanche de Kévin. La veine est ironique, le style plein d'allant. Pas d'humour lourdingue, de style ampoulé mais une férocité masquée par une apparente légèreté, un peu comme dans les contes voltairiens. Il est pourtant question dans son dernier roman Les Services compétents (janvier 2020) d'un drame personnel : l'arrestation de son père par les services du KGB sous l'ère Brejnev. 

L'auteur narre le lent processus qui a mené les services du KGB vers la véritable identité du fameux Abram Terz, pseudonyme de son père, qui publiait des essais critiques du réalisme socialiste dans les pays du camp adverse. Le roman s'ouvre sur la scène où les "services compétents" viennent chercher des preuves d'inculpation au domicile du social-traitre. Iégor Gran décrit les faits et gestes de sa mère faussement enjouée et naïve, moqueuse, désamorçant avec intelligence la violence intrusive de ces hommes formatés et ridicules. La suite du roman tient cette tonalité d'équilibriste entre ironie moqueuse et description effrayante des fonctionnements du totalitarisme.

Pourquoi ce livre là aujourd'hui ? Parce qu'il ne verse pas dans le mélodrame. Parce qu'il illustre par le style et par certains de ses personnages, rebelles à l'ordre imposé, la force de la création, du rire, de l'amour et de l'amitié en dépit des drames vécus et à venir.